Tout petit, Ben suivait son grand-frère partout où il le pouvait, même la salle de bain s’il avait le malheur de ne pas verrouiller. De dix ans son aîné, Kay  était à ses yeux parfait; il était gentil, il savait toujours tout sur tout, et surtout il était présent. Avec un père médecin et une mère entrepreneure, les deux frères passaient bien souvent leurs soirées avec l’autre comme seule compagnie. On s’attendait donc à ce qu’ils occupent leur temps avec divers ateliers, qu’ils pouvaient choisir tant que c’était convenable. Si son frère finit par trouver sa passion et devenir champion olympique d’archerie, Ben au contraire était le genre d’enfant qui était incapable de passer plus de quelques semaines à faire la même chose. Il passait joyeusement d’une discipline à l’autre, touchant un peu de  tout sans jamais devenir bon à quoi que ce soit. La vérité c’était qu’il allait aux différents cours du soir juste pour se faire des nouveaux amis -dès qu’on essayait de lui montrer des techniques et qu’il devait faire de réels efforts, il lâchait à coup sûr. S’il ne s’en doutait pas nécessairement à cet âge-là, ça n’était pourtant pas un mystère pour les adultes dans sa vie.

C’est pour ça qu’à dix ans, quand il supplia ses parents de le laisser aller à New York pour vivre avec son grand-frère, ses parents décidèrent de lui dire que s’il voulait y aller, il avait qu’à s’arranger lui-même, simplement parce qu’ils s’attendaient à le voir abandonner aussi vite qu’il en avait eu l’idée. Le pire c’est que ça eut bien la chance de fonctionner! Il passa les quatre années suivantes à se morfondre, incapable d’oublier son souhait d’aller vivre avec son frère aux États-Unis mais également incapable de voir comment il pouvait s’y rendre. L’argent ne poussait malheureusement pas dans les arbres, et juste le prix du billet d’avion était assez pour le déterrer. Il se croyait trop jeune pour travailler, mais c’est un de ses potes des cours de photographie qui lui glissa qu’il pouvaient probablement faire des vidéos et des photos tout en étant sponsorisé. Alors il s’y mit, profitant de son large réseau de connaissances; un lui prenait des photos, un autre faisait les retouches, d’autres partageaient dans leurs groupes d’amis.

Ainsi naquit la page Instagram «Wolfe Rose».


Malheureusement pour lui, «Sensation Instagram» n’était, en tout cas pour le moment, pas un métier qui payait assez bien pour l’envoyer étudier à New York. Par contre, c’était assez pour payer un billet aller-retour vers les États-Unis. Il eut bien l’idée de prendre juste un billet aller et de juste trainer jusqu’à ce que son frère le remette sur l’avion de retour, mais Ben eût une autre idée. Il y avait là-bas un collège dont il avait entendu parler parce qu’ils n’acceptaient habituellement que des gens comme lui; pas nécessairement doués à l’école, mais avec des parents plein de tunes. Sauf que voilà; s’il voulait aller là-bas, on lui avait bien dit de se débrouiller tout seul.

Alors c’est ce qu’il a fit.

Avec en poche son passeport, il acheta son premier billet aller-retour. Même pas pour aller voir son frère; il voulait lui garder la surprise. Il resta juste le temps de passer un concours d’entré pour l’Académie Kennedy; concours d’entrée pour lequel il avait étudié sans relâche… ou presque. Si Ben n’était pas un cancre, il n’avait de base pas nécessairement les notes pour y aller. Il avait étudié sans relâche avec des amis beaucoup plus intelligents que lui. À la fin, il ne savait plus s’il le faisait vraiment pour aller à l’académie, pour voir son frère plus souvent ou juste rabattre le caquet de ses parents qui lui disaient qu’il n’y arrivait pas. Ils n’étaient pas méchants (ils étaient plutôt contents de ses bonnes notes en fait), et s’ils voulaient qu’il arrête de parler d’aller vivre avec son frère, c’était surtout parce qu’ils ne voulaient pas le voir aller si loin, comme l’autre. Avoir un fils à l’étranger, c’est déjà dur, alors deux…

Il réussi à passer le concours (sinon on en parlerait pas) et arriva à l’académie au début septembre 2019. Toutefois avec ses seize ans de vie facile, il faillit bien lâcher après juste une semaine. Non seulement il devait s’occuper de ses propres études, mais en plus de celles d’un.e autre gamin.e, en plus de devoir «travailler» quasi comme esclave pour cette personne. Mais il s’était promis qu’il irait retrouver son frère, bulletin en main, au début des vacances d’hiver. Pas question de lâcher d’ici là!